-11- juillet 2015 Les (biens) communs de la connaissance et de l’information

Mis à jour le vendredi 21 juin 2024 , par DELEUZE Frédéric

Lettre TIC'Édu thématique N°05

Les (biens) communs de la connaissance et de l'information 
juillet 2015

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Sommaire

 

1. PRÉAMBULE

 

Si la notion de biens communs n'est pas nouvelle(1), elle opère un retour en force en ce début de siècle, popularisée en partie par les travaux de l'Américaine Elinor Ostrom(2), récompensés par l'attribution du Nobel d'économie en 2009. Depuis une trentaine d'années, numérique, écologie et (alter) mondialisation obligent, sa définition s'est élargie, ses usages ont pris une ampleur conséquente, notamment dans les domaines de l’information et des savoirs. 
L’intérêt porté aux biens communs de la connaissance et aux biens communs informationnels(3) se concrétise par leur présence dans nombre de rapports et publications parus cette année. Ces deux expressions souvent associées font particulièrement sens dans un monde de réseaux (sociaux ou autres), de communautés de personnes habituées à partager, à échanger, à co-créer et très mobilisées contre la privatisation et le contrôle du savoir et de l'information. 
Les domaines et disciplines concernés par les biens communs sont nombreux et chacun envisage naturellement ce sujet sous une facette qui lui est propre : philosophie, économie, développement durable, droit, etc. Dans le cadre de cette lettre Tic'Édu thématique, c'est principalement l'angle de la culture numérique qui a été retenu pour présenter les biens communs et plus précisément les communs de l'information et de la connaissance. Dans cet esprit, ce panorama ne saurait être complet sans relier a minima ce sujet aux données(4), à la gouvernance de l'information et de l'Internet, ainsi qu’à la neutralité du net.

 

(1) Certains auteurs situent son origine avec le travail dans les champs de l'Europe du 12ème siècle.

(2) Hervé Le Crosnier, Le prix « Nobel » à Elinor Ostrom : une bonne nouvelle pour la théorie des biens communs . http://www.alternatives-economiques.fr/le-prix---nobel---a-elinor-ostrom--_fr_art_633_44275.html 

(3) L’information est aussi considéré par certains chercheurs comme un bien commun de la connaissance.

(4) La donnée sous toutes ses occurrences : données ouvertes, publiques, data et textmining , protection des données personnelles, etc.

2. UN THÈME SENSIBLE ET COMPLEXE, ANCRÉ DANS L'HISTOIRE

 

En tout premier lieu l'expression « biens communs » a été employée, selon Pierre Dardot et Christian Laval(5), pour définir « la richesse commune du monde matériel, l’air, l’eau, les fruits du sol, le don de la nature, souvent présenté dans les textes de la pensée européenne classique comme constituant l’héritage de toute l’humanité qui doit être partagé entre tous ». Très concrètement, les exemples les plus fréquemment cités dans ce contexte sont une rivière, un four à pain, une machine-outil, une semence.... Puis par extension, les biens communs ont désigné aussi des ressources immatérielles : un savoir, un code génétique, un code logiciel, un morceau de musique, un article scientifique, un support pédagogique, une base de métadonnées musicales, une entrée encyclopédique, une vidéo, un dessin de dispositif technique, etc. Une liste non exhaustive sur laquelle le plus difficile pour une ressource est de parvenir à y figurer et surtout d’y rester.

 

En effet, depuis le mouvement des enclosures(6) dans les campagnes anglaises, les communs, sauf quand les citoyens s’organisent(7), ont rarement réussi à s’affranchir d’une opposition public/privé souvent virulente, peinant de surcroît à faire évoluer des droits de propriété hérités du 18ème siècle. Dans ce contexte, il n'est donc pas étonnant que ce mot exhumé du 17ème soit fréquemment utilisé dans les articles contemporains, notamment pour désigner la « bascule d'une ressource d’un statut de commun à un statut de bien privé »(8). Dans un article qui retrace l’histoire des différentes enclosures informationnelles et plus particulièrement celles concernant les usages de l’information numérique, Olivier Ertzscheid (enseignant-chercheur et maître de conférence) définit l’enclosure « comme un élément d’information ou de connaissance dont la libre circulation est entravée, et/ou qui ne peut être documenté, qui ne peut rentrer dans un processus documentaire (de conservation, d’archivage, de diffusion, etc.) qu’en circuit fermé ou dans des conditions d’appropriation en contradiction avec la capacité d’une gestion collective et définies par le site hôte et non par le producteur ou le créateur de la ressource »(9).

 

Définir un bien comme commun(10) n'est pas simple tant les angles d'attaque sont nombreux et les intérêts conflictuels. 
Dans son dossier(11) en ligne sur le site de la Bibliothèque Publique d’Information (BPI), Silvère Mercier retient trois points incontournables : une ressource, une communauté de personnes, des règles(12) : « Les biens communs – mais on peut dire aussi communs tout seuls – sont des ressources gérées collectivement par une communauté selon une forme de gouvernance qu’elle définit elle-même »(13). 
Ces 3 dimensions sont repérées par tous les auteurs, unanimes à en souligner le côté complexe : « La définition communément admise des biens communs associe trois dimensions : la substance du bien qu'il faut souvent préserver d'un accaparement, les règles qui en permettent le partage, et enfin, l'organisation collective et démocratique qui les gouverne. Une part de la complexité de cette notion vient de cette imbrication. Une autre est liée à la diversité et l'ampleur des domaines concernés et des contextes socioculturels dans lesquels ils se manifestent »(14).

 

(5) Auteurs du livre Communs, essai sur la révolution au XXIème siècle paru en 2014 aux éditions La Découverte, Pierre Dardot et Christian Laval abordent le sujet sous un angle essentiellement politique et économique mais néanmoins intéressant pour des néophytes, de larges passages restant accessibles au ... commun des mortels. 
Écouter la présentation de l’ouvrage et sa thématique sur France Culture : http://www.franceculture.fr/oeuvre-commun-essai-sur-la-revolution-au-xxie-siecle-de-christian-laval-et-pierre-dardot  . 
L'aspect politique des biens communs est également traité par Silke Helfrich dans un article paru sur Framablog : Silke Helfrich – 28 janvier 2010 – CommonsBlog – http://www.framablog.org/index.php/post/2010/04/30/les-biens-communs-espoir-politique  : « Les biens communs sont une catégorie à part de production et d’usage du savoir et des biens matériels, où la valeur de l’usage est privilégiée par rapport à la valeur marchande. »

(6) Mouvement né en Angleterre au 17ème siècle : les propriétaires terriens clôturent et donc interdisent l'accès aux pâturages jusque-là gérés en commun.

(7) Ces oppositions privé / public, marchand / non marchand ne résistent en général toutefois pas aux initiatives de collectifs citoyens, comme le mentionne Hubert Guillaud en citant en exemple le développement des jardins partagés, les villes en biens communs, le co-voiturage, les logiciels libres, les monnaies complémentaires : Éclairages pour le 21ème siècle : Biens communs, de la nature à la connaissance , http://www.internetactu.net/2013/10/04/eclairage-pour-le-21e-siecle-biens-communs-de-la-nature-a-la-connaissance/ 

(8) http://www.savoirscom1.info/tag/biens-communs/ 

(9) Olivier Ertzscheid, Usages de l’information numérique : comprendre les nouvelles enclosures algorithmiques pour mieux s’en libérer . 2015. http://rfsic.revues.org/1425 

(10) Il convient de différencier les biens communs des biens publics. Ces derniers sont non rivaux (leur consommation par une personne ne diminue pas celle d’une autre) et non exclusifs. Une fois produits, tout le monde peut en disposer, les réutiliser, les remixer. H. Le Crosnier évoque le « caractère additif » des communs de la connaissance.

(11) Silvère Mercier, Les (biens) Communs . Bibliothèque Publique d'Information. http://www.bpi.fr/sites/Balises/contents/Contenus/economie/contenus-dossiers/les-biens-communs.html  à compléter par cette bibliographie : http://www.bpi.fr/economie/pour-en-savoir-plus-sur-les-biens-communs  et http://www.bpi.fr/les-biens-communs-1 

(12) Une des fonctions de ces règles est de s'assurer que la ressource ne sera pas surexploitée, afin de ne pas aboutir à une « tragédie des communs », selon l’expression consacrée : http://www.pratiques-collaboratives.net/FaciliterLaConvergenceParLesBiensCommuns.html 

(13) La tendance à employer « communs » en lieu et place de « biens communs » permet de moins mettre l'accent sur l'aspect ressource (biens) et d'en diminuer la connotation commerciale.

(14) http://www.communautique.qc.ca/projets/projets-actifs/remix-biens-communs1.html 

3. LES COMMUNS DE LA CONNAISSANCE : THÉORIE ET CONSTATS

 

« Nous parlons de communs de la connaissance dès lors qu’il y a une activité collective pour créer, maintenir et offrir des savoirs en partage »(15). 

Le principe de l'existence des Communs de la connaissance a été soutenu en 2006 par Elinor Ostrom et Charlotte Hess dans un ouvrage rédigé... en commun : Understanding Knowledge as a Commons (16). La connaissance y est décrite comme une ressource partagée, un « écosystème complexe se heurtant à des dilemmes sociaux » et en cela elle ne déroge pas aux problèmes rencontrés par les autres biens communs. Chaque discipline peut en effet la revendiquer et y projette tout naturellement ses propres intérêts :

  • les juristes confrontent connaissances et droits de propriété intellectuelle ;
  • les économistes considèrent le sujet sous l'angle de l'efficacité et des coûts de l'information ;
  • les philosophes s'intéressent à l'épistémologie ;
  • les bibliothécaires et professionnels des sciences de l'information étudient les biens communs sous l'angle des collections, des classifications, de l'organisation et de l'accès aux informations publiées ;
  • les sociologues se penchent sur les comportements des communautés virtuelles ;
  • les physiciens sur les lois de la nature...(17)

De cette exploration des communs de l'information et de la connaissance qui n'en est qu'aux prémices selon les auteures (du moins en 2007), des constats émergent, dont bon nombre seront repris, confirmés, étoffés et analysés ultérieurement, notamment dans l'ouvrage maintes fois cité de Dardot-Laval. 
 

Premier constat 
Il existe un impact évident du numérique sur la baisse des coûts de la connaissance ; en effet, une fois produite, la connaissance ne coûte quasiment plus rien à produire et les technologies de l'information et de la communication (TIC) sont à même de la diffuser également à peu de frais : « nous disposons d’outils de création, de diffusion et de partage des connaissances d’une puissance inégalée. Ces mêmes outils permettent également de coordonner et de mettre en action coopérative des individus pour produire ces savoirs dont la société a urgemment besoin. Il devient possible de penser les communs de la connaissance à l’échelle du monde » écrit Hervé Le Crosnier(18). Dans le domaine de l’information, la clore reviendrait, selon Olivier Ertzscheid, « à poser une frontière artificielle alors que l’ADN du numérique est de permettre le stockage et la dissémination à très bas coûts des biens informationnels qui sont par nature non rivaux, c’est-à-dire accessibles simultanément par plusieurs personnes »(19). 
 

Second constat 
Les difficultés ou restrictions d'accès à la connaissance ont toujours existé, ne serait-ce qu'avec les inégalités sociales ou les territoires(20). Au cours de l'analyse et de la présentation des idées exprimées par Elinor Ostrom et Charlotte Hess dans Understanding Knowledge as a Commons , Dardot-Laval expliquent que l'utilisation de certains moyens techniques, en permettant de capturer numériquement la connaissance, la rendent alors « propriété exclusive d’un détenteur », celui-ci pouvant la remettre alors à disposition, mais moyennant paiement(21). 
 

Troisième constat 
Le rôle crucial joué par l'École, les bibliothèques, les instituts scientifiques dans la diffusion du savoir et la Recherche, institutions par ailleurs « affaiblies ou menacées » par « l’extension de la logique de la propriété intellectuelle, peu favorable à la créativité et la diffusion des œuvres et des idées ». Pour Charlotte Hess et Elinor Ostrom, il est également important de pouvoir produire un matériau pédagogique qui soit aussi accessible en dehors de l'institution. 
 

Quatrième constat 
La réaction aux nouvelles tentatives d'enclosures se traduit par une importante mobilisation des citoyens qui se rassemblent au sein de mouvements et d'organisations. C’est typiquement le cas du mouvement de la Culture libre, qui milite pour le libre accès et l’échange du savoir et de la culture pour tous. 
 

À la lecture des trois premiers constats, il semble que la connaissance ne soit plus le « bien public pur à la fois non exclusif et non rival » qu'elle devrait être et que son statut actuel se rapproche de celui de ressource commune, proche des communs naturels. En ce sens, elle doit être gérée et préservée comme telle. Les propos des deux Américaines relayés par Dardot-Laval donnent à réfléchir : « La centralisation de l’information sur des sites privés ou publics laisse craindre la disparition des ressources d’informations. Mais surtout la création d’enclosures par le marché ou le gouvernement peut entrainer un verrouillage de l’accès à la connaissance et un assèchement des flux d’information. L’enjeu est donc de savoir comment combiner des systèmes de règles et de normes propres à ces nouveaux communs pour garantir un accès général à la connaissance qui renforce les capacités des individus tout en assurant reconnaissance et soutien pour ceux qui créent la connaissance sous ses formes les plus variées ». 
Autre impact des enclosures sur la démarche informationnelle, relevé par Olivier Ertzscheid : « l’oscillation permanente entre des régimes documentaires « d’enclosures » (enfermement) et de « disclosures » (dévoilement) [...] rend de plus en plus délicate la mise en œuvre de démarches informationnelles construites et téléologiques, capables de s’abstraire des différents régimes de prédictibilité ou de guidage algorithmique »(22).

 

(15) Lionel Dujol, Bibliothèques et communs de la connaissance . Revue de l’ABF, n°76, oct.2014, p7.

(16) Elinor Ostrom and Charlotte Hess (eds.). Understanding Knowledge as a Commons – from Theory to Practice . Cambridge, Mass.; MIT Press, 2006. À compléter par l'analyse d'Olivier Weinstein, Comment comprendre les « communs » : Elinor Ostrom, la propriété et la nouvelle économie institutionnelle . Revue de la régulation, 2013. http://regulation.revues.org/10452 

(17) Traduction librement adaptée du résumé du MIT (24 pages) http://mitpress.mit.edu/sites/default/files/titles/content/9780262083577_sch_0001.pdf 

(18) Hervé Le Crosnier, Bibliothèques et communs de la connaissance . Revue de l’ABF, n°76, oct.2014, p.8

(19) http://rfsic.revues.org/1425#tocfrom1n2 

(20) La lutte contre les inégalités scolaires . http://www.gouvernement.fr/action/la-lutte-contre-les-inegalites-scolaires 

(21) Le contrat BnF-Proquest. En 2013 un marché est signé entre la BnF et l’entreprise Proquest chargée de la numérisation des collections patrimoniales de l’établissement. Selon les clauses du contrat, Proquest devient propriétaire des données numérisées et peut les commercialiser pendant 10 ans, durée pendant laquelle chercheurs et bibliothèques devront alors payer pour accéder à des documents initialement issus du domaine public. http://www.franceculture.fr/2013-02-05-numerisation-polemique-a-la-bnf 

(22) Olivier Ertzscheid, Usages de l’information numérique : comprendre les nouvelles enclosures algorithmiques pour mieux s’en libérer. Revue française des sciences de l'information et de la communication, 2015. http://rfsic.revues.org/1425  . O. Ertzscheid est maître de conférence en SIC.

4. LES ENCLOSURES DU DOMAINE INTELLECTUEL, (IN)SOLUBLES DANS UN MONDE NUMÉRIQUE ?

 

La nature des savoirs et des cultures est complexe, explique Hervé Le Crosnier : « ils possèdent à la fois le caractère d’un bien public au sens économique (l’usage par l’un ne diminue en rien celui de l’autre) ; celui d’un bien inappropriable (on ne peut pas me retirer ce que je sais), mais ils sont également bardés de droits de propriété, par ailleurs en extension constante »(23). Ces droits de propriété sont l’héritage du 18ème siècle et dans un 21ème siècle numérique, « la question du droit sur les connaissances est un élément central dans la possibilité d’étendre et de partager savoirs et cultures ».

Ce sont les domaines de la culture et des logiciels qui sont les plus concernés par les pratiques de partage et de mise en commun, accrues avec le numérique et les réseaux. L’opposition public/privé, marchand/non marchand se fait fortement sentir. On peut aisément le comprendre, ces pratiques sont contraires aux intérêts de certaines industries traditionnelles. De leur côté, celles-ci s'organisent(24), déploient des procédures d'interdiction et de prévention, comme la loi HADOPI(25) ou des dispositifs techniques de verrouillage des ressources, comme les DRM(26).

 

Silvère Mercier identifie et détaille de nombreuses formes d’enclosures sur les communs informationnels(27) :

  • des enclosures à visée commerciale, comprenant les enclosures des données, d’accès, de temps, géographiques, publicitaires, communautaires, techniques, juridiques, écosystémiques ;
  • des enclosures d’habiletés informationnelles, d’attention, de langue, de niveau scientifique, d’aménagement intérieur…

Du côté des utilisateurs, on peut le comprendre tout aussi aisément, ces dispositifs sont mal perçus, en particulier par les défenseurs du libre qui militent pour le principe de l’accessibilité de la production intellectuelle. Une grande partie de la communauté scientifique, pionnière des publications de recherches en accès libre et dont bon nombre de laboratoires sont subventionnés en partie par l'État, s'étonne à juste titre de voir des travaux déposés initialement en archives ouvertes, revendus par des sociétés(28).

 

4.1 La Loi CADA

Les archivistes, dont le métier est en pleine mutation, sont nombreux à être engagés dans des processus de numérisation d'un patrimoine en principe accessible en partie à tous. Ils sont inquiets du retrait annoncé tout début juin du volet « archives » de l’avant-projet de loi sur la création artistique, le patrimoine et l’architecture(29). Un retour en arrière selon eux, menaçant la conservation et l’accès aux données. Tout comme les bibliothécaires, ils craignent également les répercutions potentielles provoquées par les modifications de la Loi CADA (30), qui encadre les droits d’accès et de réutilisation des données publiques : la France doit intégrer dans le droit national, avant le 18 juillet 2015, la directive du 26 juin 2013 (Bruxelles) concernant la réutilisation des informations du secteur public(31). Or le gouvernement a décidé de légiférer par voie d’ordonnance, préparant seul ce texte. Le collectif SavoirsCom1 s’émeut d’une « négation des principes qui sont au cœur même de l’idée de l’ Open Data ». Pour lui, « Il n’est pas possible de décider technocratiquement la mise en œuvre d’une politique de transparence et de participation à la vie politique. Au contraire, il faut informer citoyens et entreprises sur les tenants et aboutissants de la loi afin de les inciter à participer à la coproduction des nouveaux moyens d’accès aux masses de données publiques qui seront mises à disposition via la nouvelle loi »(32).

4.2 Le Rapport REDA

Tout récent également, le Rapport Reda (33), dont l’objectif est de réviser le droit au niveau européen, suscite un tollé en France, selon Michèle Battisti, spécialiste en propriété intellectuelle(34). La rapporteure et eurodéputée Julia Reda s’appuie pourtant entre autres sur « la Charte des droits fondamentaux qui protège la liberté d’expression, la liberté des arts et de la recherche scientifique, le droit à l’éducation et la liberté d’entreprise » pour défendre son projet et justifier ses recommandations. Certaines, notamment celles sur les DRM, n’ont pas passé le premier cap de validation. C’est le cas pour la proposition de suppression des blocages géographiques, qui auraient permis de faciliter les échanges d’œuvres entre pays européens ; idem pour le point 16 demandant « au législateur européen de s'assurer que l'utilisation de photographies, de séquences vidéo ou d'autres images d'œuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics soit permise ». Pourtant, quasiment dans le même temps, la Bibliothèque nationale de France avance, autorisant désormais la photographie personnelle dans ses salles, y compris pour les documents sous droits, ce qui selon le collectif SavoirsCom1(35), « vient à reconnaître l’exception pour copie privée ».

4.3 La Charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques

De leur côté, les bibliothécaires rappellent le droit d’accès à l’information pour tous, avec la Charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques (36). À l’initiative de l’ABF (Association des Bibliothécaires Français) et présentée lors son 61ème congrès (11-13 juin 2015) elle revendique en 8 points fondamentaux :

  1. Le droit d’accéder librement et sans discrimination à toutes les cultures et à une information plurielle.
  2. Le droit à un accompagnement attentif et compétent, respectueux des attentes des citoyens.
  3. Le droit des personnes handicapées à l’égalité d’accès aux savoirs et à l’information.
  4. Le droit d’expérimenter et de se former tout au long de la vie.
  5. Le droit d’être en capacité de participer à l’innovation sociale et aux débats citoyens.
  6. Le droit d’accéder à un Internet public ouvert et fiable.
  7. Le droit d’accéder, de réutiliser, de créer et de diffuser des communs du savoir.
  8. Le droit d’accéder à des ressources, y compris numériques, respectant la diversité des usages et favorisant l’appropriation de l’information et du savoir.

4.4 Le rapport Ambition numérique

Un autre document, le rapport Ambition numérique : 70 recommandations pour une stratégie numérique alternative (37) remis le 18 juin dernier au Premier ministre par le CNNum(38) au terme de 6 mois de concertation et de travail, suscite de vives réactions(39). Ainsi, le Syntec Numérique considère comme « une atteinte à la titularité des droits d’auteur » la préconisation du CNNum d’ouvrir les codes sources au nom de l’interopérabilité des systèmes ». Le président du CNNum Benoît Thieulin se défend en rappelant l’aspect politico-économique et non technologique des grands principes de la loi numérique : « La portabilité des données, le droit des usagers par rapport à leurs données, les biens communs, la neutralité du net, que je préfère appeler égalité dans le réseau... Tout cela concerne directement la vie des gens !(40) ». 
Parmi les 4 volets et 70 points d’un rapport censé nourrir en partie le projet de Loi numérique qui sera présenté à l’automne, de nombreuses recommandations ramènent aux communs, ne serait-ce que le point 1 du volet 1 (Loyauté et liberté dans un espace numérique en commun) avec l’affirmation du principe d’Internet en tant que bien commun et du droit fondamental à l'auto détermination informationnelle.

 

(23) Hervé Le Crosnier, Bibliothèques et communs de la connaissance . Revue de l’ABF, n°76, oct.2014, p.9

(24) Selon Dardot et Laval, il existe même une « alliance stratégique d’entreprises multinationales et de gouvernements autour des droits de propriété intellectuelle, élargis et rallongés ».

(25) http://www.hadopi.fr/ 

(26) DRM (Digital Rights Management) ou GDN (gestion des droits numériques). Dispositif technique de protection et de contrôle de l’utilisation des œuvres numériques. Source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Gestion_des_droits_num%C3%A9riques 

(27) Silvère Mercier, Identifier les enclosures informationnelles pour favoriser les apprentissages en réseau . Bibliobsession

(28) En 2009 l’Institut National de L’Information Scientifique et Technique (INIST, CNRS) est accusé de vendre via la base Refdoc et sans le consentement de leurs auteurs, des articles déposés initialement sur des sites de dépôt en accès libre : http://scinfolex.com/2012/10/15/refdocinist-les-dessous-juridiques-de-laffaire/ 

(29) cf. le communiqué de presse de l'AAF, Association des Archivistes Français http://www.archivistes.org/IMG/pdf/201506_loilcap_communique.pdf 

(30) CADA : Commission d’accès aux documents administratifs. Consulter : http://www.cada.fr/archives-publiques,6093.html  et http://eduscol.education.fr/internet-responsable/ressources/legamedia/open-data.html

(31) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:175:FULL:FR:PDF 

(32) http://www.savoirscom1.info/2014/07/lopen-data-doit-passer-par-un-debat-au-parlement/ 

(33) Le Rapport Reda, soutenu par l’ABF (Association des Bibliothécaires Français), a été présenté et amendé le 16 juin 2015 en vue d’un débat le 9 juillet au Parlement européen. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-546.580+02+DOC+PDF+V0//FR&language=FR  . Voir aussi « Le rapport Reda expliqué » : https://juliareda.eu/le-rapport-reda-explique/ 

(34) http://www.paralipomenes.net/archives/11233 

(35) http://www.savoirscom1.info/2015/06/la-copie-privee-enfin-autorisee-a-la-bibliotheque-nationale-de-france/ 

(36) http://www.abf.asso.fr/6/46/537/ABF/charte-du-droit-fondamental-des-citoyens-a-acceder-a-l-information-et-aux-savoirs-par-les-bibliotheques 

(37) Synthèse de six mois de consultation contenant 4 volets et 70 propositions, ce travail doit nourrir la future Loi numérique, présentée par Axelle Lemaire à l'automne 2015. http://contribuez.cnnumerique.fr/sites/default/files/media/CNNum--rapport-ambition-numerique.pdf 

(38) Conseil national du numérique : http://www.cnnumerique.fr/ 

(39) http://www.zdnet.fr/actualites/ambition-numerique-la-grogne-du-syntec-et-de-l-afdel-39821234.htm 

(40) http://www.usine-digitale.fr/editorial/ma-strategie-pour-faire-bouger-l-europe-et-la-france-du-numerique-par-benoit-thieulin-president-du-cnnum.N336649 

5. CULTURE LIBRE ET ACCÈS OUVERT

 

« S’organiser pour reconstruire la possibilité de produire du commun à partir de la culture et de la connaissance possibilité »(41). 
 

Deux mouvements principaux ont joué un rôle majeur en réaction aux enclosures : celui de la Culture libre, militant pour le libre accès et l'échange du savoir et de la culture pour tous et à l’origine du logiciel libre ; celui de l’accès ouvert ( open access ) dont l’INIST établit la définition suivante : « Le mouvement du libre accès désigne l’ensemble des initiatives prises pour une mise à disposition des résultats de la recherche au plus grand nombre, sans restriction d’accès, que ce soit par l’auto archivage ou par des revues en libre accès »(42).

5.1 Les licences libres et ouvertes

Le développement des licences libres est une forme emblématique de la lutte contre les enclosures du domaine intellectuel. Dardot-Laval saluent en particulier la protection du système GNU(43) (1983) par la licence GPL ( General Public Licence , 1989), à l’initiative de Richard Stallman. D’après eux, celui-ci a en effet créé un « véritable commun à partir de la définition des droits et devoirs des usagers », instaurant un « régime juridique de la propriété intellectuelle commune » pour « protéger et délimiter la communauté d’usage et de production », notamment avec la clause de copyleft (44) et les libertés suivantes : 

  • liberté d’utiliser le logiciel quelque soit l’usage
  • liberté d’étudier le code source et de le modifier
  • liberté de le redistribuer sous forme de copies pour aider son voisin
  • liberté de redistribuer aux autres vos propres versions modifiées

Quelques années plus tard, le projet Creative Commons(45) (CC) lancé en 2003 (en France) semble avoir eu un réel impact sur les hésitations à mettre à disposition les données culturelles et intellectuelles produites par les individus. Son slogan : « faire sans contrefaire, partager, remixer, réutiliser légalement ». Le site propose 6 licences différentes simples à utiliser et non exclusives, ainsi qu’un matériau pédagogique clair pour aborder le sujet avec les élèves. Le moteur de recherche dédié(46) explore un certain nombre de réservoirs de ressources à la recherche de contenu sous licence CC :

  • Europeana,
  • Google images,
  • Wikimedia Commons,
  • Jamendo,
  • YouTube,
  • Pixabay, etc.

Tout comme la recherche d’images dans Google, la plateforme Flickr propose aussi une exploration de ses contenus par type de licence CC(47). Cependant ce dispositif de licences CC semble présenter des lacunes ; en ouvrant en novembre 2014 son service payant d’impression à la demande et en haute qualité ( Wall Art collections ), Flickr a déclenché une polémique(48). En effet, le service puisait dans les photos de la plateforme sous « licence CC sans autorisation commerciale » (NC). Flick est revenu très rapidement sur ces dispositions(49) mais pour Lionel Maurel (juriste et bibliothécaire), il manque « un chaînon » entre « les licences vraiment libres et celles dites de libre diffusion »(50). En guise de solution potentielle, il préconise une « licence réciproque »(51) pour « imposer aux acteurs commerciaux une exigence de réciprocité lorsqu’ils réutilisent des contenus ouverts ». 
 

Inhérentes au bouleversement numérique et au Big data consécutif, des licences sont également développées pour les données. L’ Open Knowledge Foundation (OKF) s’y emploie, avec son projet Open Data Commons pour la protection des données et la création des licences ODbL(52) et PDDL(53). Le groupe français d’OKF, dont un des objectifs est de promouvoir le savoir libre, a d’ailleurs créé en février 2014 l’École des données(54), pour éduquer à l’utilisation des données ouvertes, un sujet présentant des liens étroits avec les biens communs.

5.2 Les ressources éducatives libres (REL)

Préconisées en 2002 par l’UNESCO(55) qui regroupe ses propres productions éducatives libres sur un site dédié(56), « les ressources éducatives libres(57) offrent une opportunité stratégique pour améliorer la qualité de l'éducation, faciliter le dialogue politique et partager les connaissances et le renforcement des capacités »(58). L’organisation a d’ailleurs publié en 2011 des recommandations pour l’utilisation des REL dans l’enseignement supérieur(59), suivies de la Déclaration de Paris sur les REL 2012 (60), lors du Congrès mondial sur les ressources libres. Elle en souligne le potentiel transformateur ainsi que la nécessité de concevoir des ressources répondant aux besoins diversifiés des élèves(61). 
La définition établie par l’organisme mondial : « les ressources éducatives libres sont des matériaux d’enseignement, d'apprentissage ou de recherche appartenant au domaine public ou publiés avec une licence de propriété intellectuelle permettant leur utilisation, adaptation et distribution à titre gratuit », permet de mesurer l’apport potentiel sans précédent représenté par les ressources produites dans ce cadre.

Les REL sont également plusieurs fois citées dans le rapport Ambition numérique du CNNum, notamment en ce qui concerne la poursuite de l’interopérabilité dans l’Éducation nationale et la proposition des REL sous CC (p. 325). L’axe 4 du Manifeste du collectif SavoirsCom1 encourage lui aussi la création de ressources (éducatives) libres et préconise qu’elle comporte « une clause de partage à l’identique, qu’il s’agisse de données, de métadonnées, de savoirs, garanties pour une libre circulation des connaissances »(62).

Les REL, dont l’expansion est rapide, proviennent principalement des institutions et des enseignants. Leur typologie est par conséquent globalement la suivante : des conférences (ex. : les vidéos de conférences sur le site Canal-U(63)), des cours mis en ligne (ex. : la Khan Academy(64), Openclassrooms(65), ceux de l’association Sésamath(66)), des exercices (souvent des QCM), des listes de références, etc. 
Des moteurs spécialisés(67) permettent d’en explorer les contenus (essentiellement tirés des MOOCs anglophones) et la plateforme française FUN (France Université Numérique) via son tout récent moteur de recherche(68), vient de donner accès gratuitement à plus de 30 000 ressources pédagogiques. Citons également les URFIST(69) (Unité Régionale de Formation à l'Information Scientifique et Technique), ces organismes de formation inter académiques qui militent depuis plus de 20 ans pour un libre accès à la connaissance, le logiciel libre et la neutralité du Net. Toutes leurs productions sont placées sous licence CC.

 

(41) Hervé Le Crosnier, Bibliothèques et communs de la connaissance . Revue de l’ABF, n°76, oct.2014, p.16.

(42) Définition : http://openaccess.inist.fr/?+-Mouvement-du-Libre-Acces-+  et textes de référence : http://openaccess.inist.fr/?-Textes-de-references- 

(43) https://www.gnu.org/home.fr.html 

(44) Le copyleft est une méthode générale pour rendre libre un programme (ou toute autre œuvre) et obliger toutes les versions modifiées ou étendues de ce programme à être libres également. Source : http://www.gnu.org/copyleft/copyleft.fr.html 

(45) Creative Commons est une organisation internationale à but non lucratif http://creativecommons.fr/  . Consulter la liste établie sur le portail national STI http://eduscol.education.fr/sti/ressources_techniques/les-licences-de-libre-diffusion-creative-commons-technologie-ndeg197

(46) https://search.creativecommons.org/ 

(47) https://www.flickr.com/creativecommons/ 

(48) Images libres, usage commercial de photos et licences : de Flickr au domaine public . ZDNet. http://www.zdnet.fr/actualites/images-libres-usage-commercial-de-photos-et-licences-de-flickr-au-domaine-public-39810891.htm 

(49) http://blog.flickr.net/en/2014/11/26/a-closer-look-at-flickrs-curated-wall-art-collections/ 

(50) http://scinfolex.com/2014/12/29/flickr-et-le-chainon-manquant-des-licences/ 

(51) http://scoms.hypotheses.org/241 

(52) Open Data Commons Open Database License (ODbL) http://opendatacommons.org/licenses/odbl/ 

(53) Open Data Commons Public Domain Dedication and License (PDDL) - http://opendatacommons.org/licenses/pddl/#sthash.hzplOY2N.dpuf 

(54) http ://ecoledesdonnees.org/ 

(55) L’UNESCO est à l’initiative de ce terme, adopté lors du 1er forum mondial des REL en 2002 : http://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/access-to-knowledge/open-educational-resources/ 

(56) Plateforme REL : http://www.oerplatform.org/ 

(57) ou OER pour Open Educational Resources

(58) http://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/access-to-knowledge/open-educational-resources/ 

(59) UNESCO. Lignes directrices pour les ressources éducatives libres (REL) dans l’enseignement supérieur. 2011. http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002136/213605f.pdf 

(60)UNESCO. Déclaration de Paris sur les REL 2012. http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CI/CI/pdf/Events/French_Paris_OER_Declaration.pdf

(61) Un MOOC sur les REL s’est déroulé en 2014 ; « Réutiliser, Retravailler, Recombiner, Redistribuer – 4R des REL pour une Éducation libre ». Le programme et certaines vidéos d’intervention sont encore en ligne : http://rel2014.mooc.ca/ 

(62) http://www.savoirscom1.info/manifeste-savoirscom1/ 

(63) https://www.canal-u.tv/ 

(64) https://fr.khanacademy.org/ 

(65) http://openclassrooms.com/ 

(66) http://www.sesamath.net/index.php 

(67) Cf la lettre Tic’Edu thématique n°3 de la DNE « la MOOC mania » http://eduscol.education.fr/numerique/ticedu-thematique/TICEdu-thematique-03/#129

(68) http://www.france-universite-numerique.fr/moteur-des-ressources-pedagogiques-numeriques.html

(69) http://urfistinfo.hypotheses.org/2351 

 

6. ENSEIGNER LES COMMUNS

 

6.1 Les réseaux, facteurs d'échanges et de production de contenus

C'est par rapport à la dimension communautés de personnes qu'Internet et le web 2 ont sans doute joué un rôle prépondérant dans la facette information et connaissance des biens communs, tout d'abord par le développement technique de réseaux vecteurs d'échanges, puis dans l'organisation même de ces réseaux. Forums ou réseaux sociaux obéissent à des règles de fonctionnement, à des modalités d'accès souvent établies collectivement par des membres de plus en plus habitués et encouragés à partager, à produire en commun, dans un esprit non marchand. Cependant, tous les réseaux sociaux ne correspondent à la définition de communauté telle qu’elle est appliquée aux communs : « un commun c’est une communauté sans audience », explique Olivier Ertzscheid, pour lequel la caractéristique d’un commun est « précisément le fait qu’il dispose d’une communauté sans pour autant chercher une audience ». Et d’ajouter : « il existe un « bien commun » de la santé, mais si on lui rajoute une audience, ce bien commun devient d’abord un « marché ». Idem pour l’éducation, mais également pour ce que l’on nomme « l’information » comme bien commun »(70).

 

Dans un article(71) paru conjointement sur les sites Docs pour Docs et SavoirsCom1, Hélène Mulot, professeur documentaliste, identifie 3 types de communautés : les communautés d’enseignants, « qui se sont développées en ligne autour de l’autoformation, du partage, de la mutualisation, de la production de contenus, de besoins spécifiques » ; les communautés d’élèves, moins formelles, développées dans le cadre de projets de classe ou de clubs : les communautés d’intérêt, comme celle de Doc@Brest(72) qui « dépassent le cadre du seul milieu enseignant ».

Cette importance du dépassement du seul milieu enseignant est d’ailleurs repris (p. 277) par le rapport Ambition numérique : « les productions pédagogiques des enseignants destinées à la classe sont indispensables à l’activité des établissements d’éducation (et à ce titre, ne sont pas couvertes par le droit d’auteur, Article L131-3-1) ». Il est suggéré un partage systématisé à l’intérieur d’un établissement (intranet de collège, de lycée…) : « plus largement, les enseignants doivent être encouragés au partage et aux pratiques collaboratives au-delà de l’établissement ».

Ces 3 dimensions, communauté, production, règles (gouvernance) sont traitées de façon absolument indissociable : il est rare d’évoquer l’une sans que les deux autres en découlent naturellement, quel que soit l’ordre. Signal fort de l’importance des biens communs, ils sont présents dans des publications actuelles majeures concernant le numérique et/ou l’éducation.

6.2 L'UNESCO

En faisant dès 2011 de la Création de connaissances une des 3 approches du Référentiel de compétences pour les enseignants(73), l'UNESCO est bien en phase avec la définition et les enjeux des communs : « Dans la troisième approche, Création de connaissances, les élèves, citoyens et acteurs futurs de l’économie, créent les nouveaux savoirs indispensables pour bâtir des sociétés plus harmonieuses, enrichissantes et prospères (p.7). » Quelques pages plus loin (p.12), pour les auteurs du document : « le projet de Référentiel TIC/enseignants est en accord avec les principes exprimés par la Commission internationale selon lesquels la croissance économique effrénée est contraire à l’équité, au respect de la condition humaine et à la gestion avisée des richesses naturelles du monde ». Dardot-Laval font écho à ces dernières lignes : « alors que les ressources naturelles sont des ressources rares, à la fois non exclusives et rivales, les communs de la connaissance sont des biens non rivaux dont l’utilisation par les uns non seulement ne diminue pas celle des autres, mais a plutôt tendance à l’augmenter [...] en favorisant de nouvelles productions ».


En 2015, l’UNESCO publie un nouveau rapport dont le sous-titre en dit long sur l’intérêt porté aux biens communs par l’organisme mondial : Repenser l’éducation. Vers un bien commun mondial ?(74). Irina Bokova, sa directrice générale, écrit dans le prologue : « L’éducation doit enseigner comment vivre sur une planète sous pression. Elle doit viser l’alphabétisation culturelle, sur la base du respect et d’une dignité égale pour tous, et contribuer à tisser ensemble les dimensions sociale, économique et environnementale du développement durable. C’est là une vision humaniste de l’éducation considérée comme un bien commun essentiel ». 
Les auteurs du rapport reconnaissent à l’éducation et au savoir, qui relèvent impérativement d’un processus participatif, une valeur de bien commun mondial, plutôt que de bien public. En conséquence, les diverses parties prenantes ont des rôles à jouer et des responsabilités à assumer.

6.3 L'Éducation nationale

Dans les textes officiels, l’Éducation nationale n’a que récemment cité nommément les biens communs : le Programme d’enseignement moral et civique (75) de juin 2015 en fait un objet d’apprentissage dans la classe pour le cycle 2 (p.9), et dans la classe, la société et l’école au cycle 3 (p.14). 
Cependant, les trois dimensions caractéristiques des biens communs : productions, communauté, règles, sont très présentes. Quelques exemples parmi d'autres :

  • dans le nouveau Socle commun de compétences et de connaissances (76) qui entrera en vigueur à la rentrée 2016 : « L’élève, par des mises en ligne, la publication, l’exposition, le spectacle, les rencontres sportives [...], apprend à partager et à participer à des productions communes qui stimulent son intérêt » (p. 10) ;
  • quelques lignes plus loin : « Elle (l'école) permet d’acquérir des capacités d’esprit critique et de jugement, en même temps que le sentiment d’appartenance à une collectivité » ;
  • principes complémentaires relevant du domaine 3, point 2 (p.11) : « l’élève comprend le bien-fondé des règles régissant les comportements individuels et collectifs, il se conforme à ces règles et connaît le sens du droit et de la loi. Il apprend et pratique le refus de l’injure, l’égale considération des personnes, la solidarité, l’entraide, la coopération. Il comprend la notion d’intérêt général, et acquiert le sens de la participation à la vie démocratique ».

6.4 L'enseignement supérieur et les bibliothèques

En France, la défense des communs de l’information et de la connaissance s’est organisée en grande partie à travers le collectif SavoirsCom1 : politique des biens communs de la connaissance , créé en 2012 par les bibliothécaires Silvère Mercier et Lionel Maurel. Dans le manifeste (77) proposé sur un site placé sous double licence Creative Commons et Move Commons (78) , le collectif, dans le point numéro 4, souligne l’importance de sensibiliser et d’éduquer aux communs : « 4. Le développement d’une littératie des Communs doit favoriser la citoyenneté et les apprentissages en réseaux, socles de l’existence des Communs. Il faut donc enseigner des connaissances, transmettre des savoir-faire et savoirs être qui garantissent la capacité des citoyens de demain à créer des Communs. L’apprentissage de la création, du stockage et de la mise en circulation de l’information, ainsi qu’une formation à la compréhension critique de notre environnement numérique doivent être pleinement intégrés dans les cursus scolaires et universitaires et dans les formations tout au long de la vie ».

Dans l’enseignement supérieur, l’Université de Paris Ouest Nanterre et l’Université de Lyon se sont emparées de ce sujet avec des interventions croisées. Paris Ouest Nanterre propose le master Recherche infocom : industries culturelles et environnement numérique , dont l’axe 2 sous la responsabilité de Louise Merzeau (Maitre de conférence HDR) a pour thème Culture informationnelle et médiation sociotechnique : les communs numériques . Il se présente sous la forme d’une série de 6 webinaires participatifs(79) qui s’intéressent successivement

  • aux commons , commun, communauté,
  • à l’appropriabilité des produits de l’industrie culturelle et du journalisme par les « amateurs »,
  • aux biens communs, institutions culturelles et économie de l’information : le collaboratif en question,
  • aux médiations des connaissances et savoirs collaboratifs,
  • aux nouvelles organologies de la mémoire collective (archivage du web, éditorialisation collective…),
  • et aux enclosures et émancipation.

Hervé Le Crosnier a intégré ce thème dans les cours de culture numérique qu’il dispense au CEMU (Centre Multimédia Universitaire de l’Université de Caen Basse-Normandie), disponibles sur Canal-U(80) : « Le domaine public est le statut naturel des œuvres. La propriété intellectuelle est l'exception déterminée dans le temps et dans le type de documents. Comment le patrimoine culturel et immatériel, le domaine public des créations, les œuvres dont l'usage est autorisé par leurs créateurs, passent à l'épreuve de la numérisation et de la circulation sur l'internet. » 
À visionner également deux de ses interventions en direction des professeurs de l’académie de Rouen : Droits d’auteur et exception pédagogique à l’heure du partage des savoirs et Droits d’auteur, biens communs et ressources éducatives (81) .

6.5 Les (nouveaux) usages pédagogiques

Il suffit de s’appuyer sur les récents textes officiels de l’Éducation nationale pour recueillir un large panel de notions à travailler avec les élèves autour des biens communs. Sur le terrain, les initiatives sont légion depuis un certain temps déjà. Hélène Mulot recense de nombreux usages pédagogiques autour des écritures collaboratives, de la co-création de contenus, du copié-collé, du document de collecte, de la formation aux publications en ligne, de la propriété intellectuelle, des droits d’auteurs… Mais ce qui semble nouveau c’est le recentrage de ces usages autour des communs de l’information et de la connaissance, un dénominateur… commun en quelque sorte.  

 

Parmi les usages vraiment nouveaux, les copy parties(82) et la mise en place de BiblioBox, idéales pour sensibiliser les élèves à l’ensemble des notions répertoriées ci-dessus(83). C’est une faille d’une réforme législative de décembre 2011, découverte par Silvère Mercier et Lionel Maurel, qui est le point de départ des copy parties . Selon le texte de la réforme, la copie privée doit être réalisée à partir d’une « source licite » pour demeurer légale. Or les bibliothèques sont une source légale de partage licite, sous réserve de ne pas mettre un scanneur à disposition des lecteurs. Mais il n’est pas illégal pour un utilisateur de copier un livre pour un usage privé, s’il le fait avec son matériel propre (téléphone portable, tablette). 
 

La BiblioBox (ou encore LibrayBox , CDIBox, PédagoBox, ENTBox) est particulièrement intéressante dans le cadre des apprentissages nomades(84). Dispositif de partage de ressources numériques (ressources pédagogiques et travaux d’élèves sous licence libre, ou issues du domaine public(85)), il fait appel à l’équipement informatique mobile des élèves ou de la communauté éducative, via un réseau Wi-Fi(86). Des IAN (Interlocuteurs Académiques pour le Numérique - ex IATICE) documentalistes mutualisent actuellement leurs expériences au sein d'un groupe privé du réseau social enseignant Viaeduc(87) et l’un d’entre eux, Éric Garnier, souligne l’enthousiasme des élèves et le rôle de la BiblioBox dans leur appropriation des communs(88).

 

(70) http://rfsic.revues.org/1425 

(71) Les communs, culture de la participation et culture numérique. Vers une littératie des communs ? http://www.docpourdocs.fr/spip.php?article542 

(72) http://www.docpourdocs.fr/spip.php?article534 

(73) UNESCO, Tic Unesco : un référentiel de compétences, version 2.0 . 2011 http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002169/216910f.pdf 

(74) UNESCO, Repenser l’éducation. Vers un bien commun mondial ?http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002326/232696f.pdf 

(75) Bulletin officiel spécial n°6 du 25 juin 2015 http://cache.media.education.gouv.fr//file/MEN_SPE_6/78/0/BO_SPE_25-6-2015_442780.pdf 

(76) http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=87834 

(77) http://www.savoirscom1.info/manifeste-savoirscom1/ 

(78) Licence adaptée aux projets et collectifs : http://bzg.fr/movecommons-v2-fr.html  et http://www.bibliobsession.net/2012/10/29/move-commons-labelliser-les-projets-pour-tisser-des-liens/

(79) https://www.youtube.com/playlist?list=PLrs9vSmvIga-vDlcr_GA_F11IyrUsHVVn 

(80) http://www.canal-u.tv/video/centre_d_enseignement_multimedia_universitaire_c_e_m_u 
/culture_numerique_23_patrimoine_domaine_public_biens_communs.8482 

(81) http://documentation.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article559 

(82) La première copy party a eu lieu en mars 2012 à la BU de la Roche sur Yon.

(83) http://www.actualitte.com/reportages/le-smartphone-star-de-la-premiere-copy 
-party-dans-un-college-du-havre-2150.htm 

(84) Canopé Académie d’Amiens, département de l’Oise. Partager et distribuer du contenu numérique en et hors la classe : BYODetBOX http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/blog_mediatheque/?p=14108 et Canopé de Limoges. Bibliobox ou comment bricoler son serveur de fichier wifi personnelhttp://scenari.crdp-limousin.fr/pedagobox/co/module_bibliobox.html 

(85) Frizzole, Jean-Marie, Mouren, Didier. « Lili, une bibliothèque de libres numériques libres et gratuits » Doc@zur. http://www.ac-nice.fr/docazur/spip.php?article868 

(86) Consulter le référentiel Wi-Fi de la Direction du Numérique pour l’Éducation (juin 2015) : http://eduscol.education.fr/cid89186/referentiel-wi-fi.html

(87) http://www.viaeduc.fr/ 

(88) Entretien croisé avec Thomas Fourmeux et Éric Garnier : BiblioBox, CDIBox, un pas de plus vers les Communs à l’École   Docs pour Docs. http://docpourdocs.fr/spip.php?article558 

7. BIBLIO SITOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE

 

 


Lettre proposée par la DNE A2 
Coordination : Blandine Raoul-Réa 
Rédaction : Brigitte Pierrat 
Contact : dgesco.numerique@education.gouv.fr 
Site : http://eduscol.education.fr/numerique/ticedu-thematique/ 

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